Quand le cirque Pinder se pose en victime

"Je t'admire, oppresseur, criant, oppression ! "
Des éléphants contraints à s'asseoir, un danger pour leurs organes.

Depuis sa condamnation le 29 janvier 2010 par le Tribunal de Grande Instance de Valence pour "exploitation irrégulière d'établissement détenant des animaux non domestiques", le cirque Pinder est entré dans l'ère de la victimisation, allant jusqu'à comparer sa condamnation à "un Outreau du cirque traditionnel (1)", rappellant quelques peu le "Je t'admire, oppresseur, criant, oppression ! " de Victor Hugo à l'égard des personnes détenant des animaux en cage...(2). Comme quoi, rien à changé depuis la fin du 19ème siècle, ceux qui exploitent les animaux ont toujours l'impression d'être dans leur bon droit.

A l'instar de l'affaire d'Outreau, évoqué par Mr Edelstein, c'est un "j'accuse" que nous lançons afin que la mascarade consistant à nier l'évidence prenne fin.

De l'indépendance de la Justice

L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme que "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas asurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution", aussi si nous ne remettons pas en cause le fait que le cirque Pinder fasse appel, c'est son droit, nous nous interrogeons quant aux interventions du politique sur cette décision. Ainsi le député Jean François Mancel est intervenu la 13 février dernier auprès du gouvernement :

"M. Jean-François Mancel alerte Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie sur le jugement rendu par le Tribunal Correctionnel de Valence le 29 Janvier condamnant le cirque Pinder à une amende et à la confiscation de 2 éléphants et d’un jaguar et de leurs convois routiers pour n’avoir pas été en règle au regard de certaines dispositions administratives alors que ni la sécurité du public, ni le traitement des animaux n’étaient en cause. Ce jugement ayant été rendu à la demande de 2 associations qui se disent défendre les animaux il souhaiterait savoir si l’application sans discernement des textes existants ne riquent pas de porter atteinte à l’activité des cirques en les empechant de présenter des animaux, alors qu’ils sont parfaitement bien traités, ce qui nuirait gravement à un spectacle traditionnel, familial et populaire."

Le syndicat national du cirque a également interpellé le chef de l'Etat « pour que cette traque cesse (3) », mais le Président de la République est-il en droit d'intervenir dans une décision de Justice ?

De la pression...

Afin d'obtenir la non saisie de ses animaux et ainsi faire pression sur la justice, le cirque Pinder envisage une grande manifestation à Paris et dans les villes de Province en ralliant même à sa cause les cirques familiaux, qu'il considérait comme les "Attila du cirque" (4), rapellons qu'Attila est resté célébre en tant "dévastateur de la province d'Europe", et ce afin que cesse les saisies d'animaux détenus pourtant illégalement.

Ces moyens de pression, allant jusqu'aux menaces, ne sont pas nouveau, ceux-ci ayant été exercés également lors des Rencontres Animal et Société en 2008, obligeant le Président de Séance à "rappeler les modalités de bonne conduite dans les débats" (5).

En 2008, alors que son fils Fréderic Edelstein est audtionné pour les infractions constatées dans son établissement, Mr Gilbert Edelstein demande à parler à la personne qui auditionne son fils et le menace : "Vous cherchez les ennuis !", les agents constatant que "la conversation va dégénérer" interrompent le dialogue avec Gilbert Edelstein. Le dompteur Frédéric Edelstein hausse alors le ton, et coupe court à l'audition, refusant de signer le procès verbal.

Lors de nos différentes rencontres avec les représentants du cirque Pinder, Mr Edelstein et Mr Herry, nous sommes restés confrontés à cette absence de réponse aux problèmes de fond sur la détention animale, aussi nous revenons sur ces points en prenant comme point d'appui les animaux du cirque Pinder.

Rappelons tout d'abord que Saba et Dehli ont été importées en France depuis la Thaïlande et ont donc été contraintes de s'adapter à un environnement qui n'est pas le leur. Les mouvements de balancement que l'on voit sur cette vidéo sont des troubles du comportements, appelées "stéréotypies", on dit que l'éléphant "tisse".

Voici l'avis des spécialistes sur ce point :

"Un mouvement stéréotypé c'est dû au fait qu'on ne peut exprimer son répertoire comportemental, donc on le fait de façon partielle et après ça s'inscrit vraiment dans le système nerveux et on le fait comme un passage à vide, presque pour ne pas penser, une espèce de pansement du système nerveux du cerveau et qui permet de supporter l'insupportable, un vide absolu, le néant total." (Pr Marie-Claude Bomsel - Docteur, vétérinaire, Professeur au Muséum d'Histoire Naturelle) (6)

"L'existence totalement anormale des éléphants captifs dans un cirque, qui inclut une souffrance physique et psychologique significative, est une parodie. Autoriser une telle pratique est injustifiable et contraire à l'éthique" (Dr Cynthia Moss, Dr Joyce Poole, Dr Harvey Croze, Dr Phyllis C.Lee, Dr. W.Keith Lindsay, Soila Sayialel, Norah Njiraini, Katito Sayialel , Winie Kiiru, Petter Granli, Dr Karen Mc Com, Dr. Sandy Andelman, Dr Elizabeth Archie, Dr Lucy Bates - Spécialistes des éléphants)- (7)

"Les éléphants qui balancent leur tête, les ours qui tournent en rond et répètent à chaque passage le même mouvement de la tête, les singes qui se bercent comme dans un balancement d’enfant autiste, les oiseaux qui s’arrachent les plumes… tous ces signes et tant d’autres traduisent des troubles du comportement qu’il est d’usage d’assimiler à la psychose chez l’homme – autant dire à une perte de la capacité à appréhender le réel." (Dr Bruno Lassalle, Docteur Vétérinaire - Ancien directeur du zoo de Vincennes).(8)

«La manifestations d'un échec à s'adapter de façon appropriée, et peuvent donc acquérir valeur de critère pour l'adéquacité des environnements d'hébergement au long cours pour les animaux.» ( Bride Mc, Glen & Craig, J.V.) (9)

« Les marqueurs des états de mal être chronique » (Hannier I) (10)

« Le signe manifeste d'une souffrance chronique de l'animal et d'une diminution de son bien-être » (Wemelfelder, F.) (11)

Complicité et respect vs peur et coercition

Panique au cirque Pinder... par Codean

Selon les spécialistes du comportement animal, il est "inacceptable d'utiliser des cerceaux enflammés" (12) car les félins en ont peur, il s'agit donc d'un stress et d'une contrainte inacceptable. La vétérinaire Samantha Lindley considère que "le problème du dressage et des numéros est qu'il sont répétitifs et non stimulants, les techniques de dressage représentent donc plus une épreuve et une dureté qu'une récompense (les récompenses sont utilisés lors des numéros mais pas toujours lors du domptage)" (13)

Le dompteur Fréderic Edelstein aime à répéter que "sans complicité et sans respect, on n'obtient rien d'un tigre ou d'un lion" (14), c'est il faut l'avouer surprenant de construire cette complicité en imposant à l'animal quelquechose qu'il réfute (le feu), et en lui offrant une vie d'enfermement. Les félins n'hésitant pas à la moindre occasion à se rebeller contre ces personnes avec qui ils partagent une si grande complicité...

La bagarre filmée ci-dessus, en présence de Fréderic Edelstein, n'est pas l'unique cas :

En octobre 2005 à Rennes : Le dompteur Dick Chiperfield (qui remplace Frédéric Edelstein blessé à la main par un de ses tigres) est dépassé. C'est avec l'aide de Gary Yhan (autre dresseur), et à coups de tabourets et de fouches que la piste sera dégagée au bout de 15 minutes.

Un an plus tôt, un soigneur a eu une oreille et une partie de la joue entaillée par les griffes d'un tigre, alors qu'en mars 2003 un garçon de piste a eu un bras arraché à Toulouse lors de l'entrée d'un tigre en piste.

En mélangeant les espèces, Frédéric Edelstein est bien loin du respect et de la complicité affichée avec ses animaux, "Une mixité des races et des sexes qui relève de l'exploit, tant elle est dangereuse à gérer. « Dick est toujours près de la scène pour me venir en aide au cas où quelque chose tourne mal. Il est mon assurance-vie. » Une assurance qui vaut de l'or. L'an dernier, le maître a sauvé la vie de son élève. Une répétition avec quatre nouveaux tigres aurait pu très mal se terminer sans son intervention." (15)

Vous avez dit complicité ?

La victime c'est l'animal

Oui, le cirque Pinder est en droit de contester une décision de justice en faisant appel.

Mais remettons les choses à leur juste place. Ce ne sont pas les associations qui ont été cherché Saba et Dehli en Thaïlande afin de de les trimbaler et de les exhiber.

Ces éléphantes présentent (vidéo ci-dessus) des troubles du comportement, qui sont l'illustration d'un mal-être chronique comme en témoignent les différents experts. Aussi, où est le scandale ? du côté de ceux qui dénoncent preuve à l'appui cet état de fait, ou bien du côté de ceux qui font perdurer cette situation ?

N'inversons pas les rôles, la victime est l'animal que l'on a privé de son environnement, de ces stimuli et de son groupe social, pas celui qui les exploite.

Quelque soit la décision en appel, les éléphantes Saba et Dehli sont détenus dans des conditions contraires avec leur impératifs biologiques, leur comportement le révèle. Le cirque est donc en infraction avec l'article L.214.1 du code rural qui stipule que "tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce".

Ce ne sont pas les pressions politiques et médiatiques ou les tentatives pour influencer la justice qui changeront ce fait, mais bien le replacement de ses animaux dans un cadre leur permettant d'exprimer toute la complexité de leur comportement.

(1)"le juge ordonne la saisie de deux éléphantes et d'un jaguar de Pinder" - Dauphiné Libéré - 04 février 2010
(2) HUGO victor, Liberté - la légende des siècles - 1855- 1876
(3) La Dépêche - Pinder : " c'est difficile de cacher deux éléphants "- 17 février 2010
(4) Déclaration de représentants du Syndicat National du Cirque le 19 février 2008 à l'Association des Maires de France.
(5) VERBATIM Des Rencontres Animal et Société – GROUPE 3 – 30 avril 2008
(6) BOMSEL Pr, Interview du Pr Bomsel - 30 millions d'Amis - 01 février 2009.
(7) Lettre de l'Amboseli Trust for Elephants - juin 2007
(8) LASSALLE Bruno Dr, Le syndrôme de Stockholm - avril 2010.
(9) BRIDE Mc, GLEN & CRAIG, J.V., « Environmental design and its evaluation for intensively housed animals» in Bresard B., 1985.
(10) HANNIER I., in le point vétérinaire vol.26 n°165, février 1995.
(11) WEMELSFELDER, F., "The concept of animal boredom and its relationship to stereotyped behaviour" in : Lawrence, A.B. & Rushen, J. (Éds). Stereotypic Animal Behaviour. Fundamentals and Applications to Welfare. CAB International, U. K.,1993.
(12) SCHWAMMER Harald Dr, PECHLANER Helmut Dr, GSANDTER Hermann, BUCHL-KRAMMERSTATTER Dr, Guidelines for keeping of wild animals in circuses, Vienne 1996.
(13) LINDLEY Samantha, BVSc MRCVS - A Veterinarian's Opinion on Animals in Circuses - Captive Animals' Protection Society.
(14) La dépêche - Frédéric Edelstein, dresseur, signe du lion- 19 février 2010
(15) Sud Ouest - Frédéric Edelstein et son groupe de fauves sont à Bayonne jusqu'à demain - 26 août 2009
Publié le: 
05/09/2010