De l'animal objet à l'être sensible

L'animal, dans notre société, est le plus souvent considéré comme un objet à notre service : animal de consommation, d'expérience ou de divertissement.
L'ours du dresseur Poliakov

Tout notre système s'articule autour de cette utilisation de l'animal utilitaire, plutôt que vers une reconnaissance de son existence propre. Le cirque est à l'image de ce rapport pernicieux entre l'homme et la bête.

Bien que reconnu comme un «être sensible» par le traité d'Amsterdam, l'animal dans les cirques n'est pas considéré comme tel. On parle généralement d'animal de cirque et non d'animal dans les cirques, comme s'il existait par essence des « races d'animaux de cirque ». L'animal représente un faire valoir qui se décline sur l'apparence. Extirpé de son environnement naturel, l'animal n'est plus qu'un miroir de lui-même. C'est l'image de la bête qui est mise en scène et non plus l'animal en tant qu'être sensible évoluant dans un environnement avec des besoins qui lui sont propres. Ainsi si l'on entre dans un cirque, tout comme le grouin ou les pattes du porc n'ont plus de raison d'être dans un élevage en batterie, les défenses et la trompe de l'éléphant ne sont que des attributs « factices », n'ayant plus d'utilité fonctionnelle dans un milieu qui nie totalement la physiologie de l'animal. Cette négation est particulièrement flagrante lorsqu'on observe les positions contre-nature qui sont imposées aux pachydermes lors des numéros. Contraints de s'asseoir ou de faire le poirier, les éléphants développent des problèmes aux articulations et certaines pathologies pouvant conduire à la mort. Malgré cela depuis des décennies, les professionnels du cirque continuent, dans une surenchère, de 'plier' la nature de l'animal à leur bon vouloir.

On retrouve le même phénomène d'annihilation de la bête dans les voitures-cages. Le groupe social est scindé ou inexistant, la distance de fuite est impossible, l'espace et la locomotion sont limités au seul 3 ou 4 m2 de la cage du camion... Toute la palette des besoins physiologiques et élémentaires de l'animal est niée au profit de la rentabilité en termes d'espace et de gestion.

Face à la restriction de ces comportements spécifiques (alimentaire, social, sexuel, locomoteur...), l'animal développe des comportements atypiques, preuve selon les spécialistes d'un mal-être voir d'une souffrance chronique. Pourtant les pouvoirs publics et les professionnels du cirque ne semblent pas décidés à remettre en cause cette utilisation de la bête, malgré l'indignation croissante du public. Car remettre en cause cette exploitation, c'est toucher au statut même de l'animal en lui reconnaissant de manière effective une existence qui lui est propre. Ce serait sortir la bête de cette position d'infériorité dans laquelle nous l'avons enfermé depuis l'Antiquité, et donc nous soustraire nous-même de cette position de « supériorité » que nous nous sommes octroyés face au reste du règne animal.

Mais aujourd'hui, il nous semble essentiel, sans remettre en cause la spécificité de l'homme, de reconnaître la valeur, les besoins et les spécificités de chacune des espèces avec lesquelles nous cohabitons. De tenter de redéfinir notre relation avec l'animal en voyant en lui autre chose que l'utilisation que l'on peut en faire, quittant ainsi la conception d'animal -objet pour aller véritablement vers l'animal en tant qu'être sensible.

Franck Schrafstetter, juin 2008.