Association Animaux Artistes

"Attribuer la capacité de souffrance aux animaux, c'est les reconnaître en tant qu'êtres vivants."

Les consciences s'ouvrent petit à petit. Le public ne voit plus l'animal comme un jouet dont on peut disposer à sa guise, mais de plus en plus comme un être souffrant, privé de son environnement naturel. Des voix s'élèvent aux quatre coins de la planète pour une interdiction des animaux dans les cirques (Pays Scandinaves, Autriche, Brésil, Singapour, Costa Rica, puis dernièrement des villes de Croatie...). La menace est trop prégnante pour que ces établissements itinérants n'en mesurent pas l'étendue.

Faute de remettre en cause leurs pratiques issues d'un passé colonial résolu, les directeurs de cirques traditionnels s'unissent pour tenter de conserver ces numéros tombés en désuétude.

Fondée en juillet 2004, par Gilbert Edelstein (cirque Pinder) et présidée par Raoul Gibault (cirque Médrano) et Jean Falck (cirque Amar), l'association Animaux Artistes (loi 1901) vise à soutenir l'exploitation des cirques avec animaux. Animaux qui selon les termes de ces professionnels du cirque reçoivent « affection » et « confort » ! Rappelons que la dimension moyenne d'une cage de cirque est de 3m2, que de nombreux animaux sont attachés et que le dressage se fait encore sous la pression de fouets, de bâton ou de piques... Cette association «animée par de grands professionnels du cirque qui aiment passionnément leurs animaux » semble confondre plusieurs notions. En effet, l'amour et le respect induiraient une prise en compte de l'intérêt des pensionnaires. Or, il est fort à penser qu'un éléphant préfèrerait être libre au milieu d'une harde de congénères plutôt que d'être enchaîné seul ou qu'un fauve opterait pour la fuite devant le feu, plutôt que d'être contraint de lui faire face et de le traverser... Le bon sens et l'étude du comportement animal nous le confirmeraient.

Par contre, que ces circassiens aient de l'attachement et une sorte de passion pour leurs bêtes, cela semble probable. Mais faut-il encore avoir l'honnêteté de l'avouer et ne pas faire d'amalgames. Les intérêts financiers se font au détriment de l'animal qui n'est plus qu'un esclave au service de celui qui l'exploite. Contrairement aux dompteurs, les matadors (à l'exception de quelques irréductibles), reconnaissent que leur « numéro » est un acte cruel, que l'animal est sacrifié, que ce soit pour l'argent ou pour une prétendue tradition. Bien entendu, cela ne justifie en rien la poursuite de telles tortures, mais si la conscience morale de l'ignominie de tels actes est absente, il y a au moins un aveu verbal des faits. Les cirques n'ont pas encore fait ce pas, et nous laissent donc encore miroiter un monde fait de paillettes et d'illusions ou les éléphants sont roses, et les tigres de gros chats très câlins qui s'adonnent en ronronnant à toutes sortes de jeux.

La dénomination même de l'association « Animaux Artistes » illustre parfaitement le décalage qui existe entre des citoyens qui reconnaissent l'animal comme un être vivant à part entière, avec ses spécificités et ceux qui le voient encore comme un instrument source de profit dont on peut disposer à sa guise.

Être un artiste, c'est être façonneur ou médiateur de la culture dont on a hérité. Or imputer à l'animal l'étiquette d'artiste, c'est refuser de lui reconnaître sa nature pour lui imposer une culture humaine dont il n'est pas porteur, et qui ne correspond en rien à sa propre culture ou à son comportement. Cette tendance à attribuer aux animaux des caractéristiques humaines relève de l'anthropomorphisme. L'éléphant se tient sur les pattes arrières dans une posture humaine (Pinder, Arlette Grüss...), les singes boivent dans un verre, sont habillés en robe ou en costume (Pinder, Kino's...), les ours font du vélo et érigent fièrement un drapeau français (Roman Diezel, Poliakov..) etc.

Selon le principe de ce monde où l'apparence et l'illusion font écran à la réalité, le dompteur se pose en victime et accuse les défenseurs de l'animal de cet anthropomorphisme dont il est pourtant de toute évidence le principal représentant.

Attribuer la capacité de souffrance aux animaux, c'est les reconnaître en tant qu'êtres vivants. La perversion dont ils sont les victimes étant le fond de commerce des numéros de dressage, il est impératif pour les circassiens de nier cette souffrance, de nier l'animalité elle-même, de la dénaturer. Il devient le complice médiatique du fauve dont il nie pourtant l'existence, il devient le pourfendeur d'une tradition qu'il a lui-même pervertie, il devient le défenseur d'un animal artiste qui n'existe pas.

Franck Schrafstetter