Pierre-Yves Bourdil

"Le monde du cirque aspire à pervertir l'animalité"

Pierre-Yves Bourdil est docteur en littérature et professeur de philosophie.

"Dresser un animal consiste à insuffler une finalité à ses comportements. Elle confère un sens humain à un animal qui, naturellement, ne saurait y parvenir par ses seules capacités. L'animal dressé a un peu d'âme, quoiqu'il ne s'en rende pas compte. Le voilà devenu amusant par un transfert de sens dont l'homme entend demeurer le maître. Le cirque donne forme humaine à des gestes animaux et forme mécanique à des gestes humains. Il déconstruit la hiérarchie habituelle des êtres et brouille leur valeur. Le singe dressé semble agir intentionnellement. l'acrobate se rend au maximum prisonnier des forces physiques. L'animal fait rire. L'acrobate fait peur. Le clown fait sans doute les deux.

Le cirque se constitue comme une société du monstrueux. Il n'y a peut-être pas de lieu où la métaphysique soit autant mise en question. A tous les niveaux, le monde du cirque aspire à pervertir l'animalité, de telle manière que, par contraste, les spectateurs se sentent humains avec la plus grande intensité, à ceci prêt que tout reste au plan de la seule apparence. Les points de repère sont désorientés. Comme la philosophie, en un sens, le cirque procède de l'étonnement, mais cet étonnement demeure simulacre, il loge dans les phénomènes au lieu de naître dans l'intelligence du spectateur. Il faut même, comme en une sublime prestidigitation, que l'intelligence du spectateur soit toujours court-circuitée..."

Extrait de "L'étrange existence de l'animal", Pierre-Yves Bourdil, 2001.