Cirques et décolonisation

Des oubliés de la décolonisation

En imposant à ses professeurs d'enseigner « le rôle positif de la présence française outre-mer » et, par là, de reconnaître un tel rôle, la France tente de légitimer la forme pour mieux faire oublier le fond. Elle tente de faire oublier que la France coloniale a soumis à ses intérêts impérialistes des 'indigènes' qu'elle considérait comme inférieurs. Ainsi, Jules Ferry déclarait en 1885 : « Il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (1)» . Cette vision ethnocentrique est reprise dans les manuels scolaires (2) qui subdivisent les hommes en 4 races dont la race blanche serait la plus parfaite.

Suite à l'indignation suscitée par le refus d'abrogation de cet article 4 de la loi du 23 février 2005, le Ministre de l'intérieur a souligné l'importance de « cesser cette repentance permanente qui fait qu'il faudrait s'excuser de l'histoire de France »(3), tout en acceptant ainsi implicitement de laisser perdurer cette vision pyramidale des peuples dans laquelle il serait légitime, voire positif, d'accepter la domination du colonisateur blanc sur l'indigène de couleur. Cette position de la France, exprimée en l'occurrence par la voix de son Ministre de l'intérieur, est représentative de la manière dont on construit cette société, à la verticale. Si la position actuelle d'une partie du gouvernement peut choquer une frange de la population (4), il n'en reste pas moins que les Français dans leur majorité soutiennent, sans toujours en être conscients, ce système pyramidal fondé sur l'oppression de ceux qui dispose de moindre moyen de défense. Le casque colonial a certes aujourd'hui disparu, mais, pourtant d'autres victimes de cette colonisation demeurent présentes derrière des barreaux, et portant des chaînes aux pieds, et ce dans une indifférence quasi-générale. Or, leur mise en esclavage correspond étrangement à notre propre histoire coloniale.

Au XIXe siècle, en impérialistes, les pays européens se partagent le monde. Des marchands tels que Carl Hagenbeck importent, des colonies, 'indigènes' et animaux sauvages afin de les exhiber comme des bêtes curieuses, dans les foires et les zoos. Le cirque, pourtant exempt d'animaux sauvages lors de son invention par le sergent Astley en 1768, va tout au long de la deuxième vague de colonisation au XIXe siècle acquérir par capture et importation des créatures aussi fascinantes qu'inquiétantes pour les occidentaux : Eléphants, gorilles, ours... Ces animaux « exotiques » côtoient Lapons, Cingalais et Somalis... L'apogée du cirque coïncide à avec celle de l'empire colonial.

Or, si le mouvement de décolonisation a « libéré » les victimes humaines qui, pour certaines, ont retrouvé un semblant de dignité (mais toujours pas une reconnaissance), il a stoppé sa marche « salvatrice » avant que les animaux n'en bénéficient. Ces derniers sont restés ces « bêtes curieuses », objet d'exhibition.

Les oubliés de la décolonisation

Pourtant, la soumission est la même ; ainsi, l'acculturation des peuples se décline-t-elle en dénaturation pour l'animal, le classement des races par degré d'instruction se reflète-t-il en un classement des espèces par la raison et l'ethnocentrisme se réfugie-t-il dans l'anthropocentrisme. Si les consciences humaines semblent sauves, rien ne justifie dès lors que le système perdure.

La reconnaissance des méfaits d'un système qui se fonde sur l'oppression ne peut se faire que par une mise en acte, c'est-à-dire non seulement par la prise en considération réelle de tous ceux que l'on a privés de leurs racines, mais aussi par la libération de toutes les victimes oubliées de ces vagues impérialistes : les animaux dans les cirques.

Franck Schrafstetter